Il restera un détail, ou deux.

Il y a eu ce constat : je ne voyais plus. J’avais perdu mon regard et j’étais face à un silence visuel. Profond.
En temps normal, quand je ne photographie pas, je porte en moi des mots et des images mentales. Elles sont là, je vis avec elles en attendant de trouver l’instant pour leur donner une forme. Pour leur offrir leur propre existence. Mais dernièrement elles avaient disparues. Je ne savais pas où elles étaient parties. Elles m’ont laissée seule, démunie face à leur absence. Subitement je ne voyais plus.
Je suis donc restée de long mois sans prendre une photographie. Complètement perdue, déroutée face à ce manque visuel. De temps en temps je plissais les yeux, vous savez comme pour chercher à faire une mise au point. Un geste vain pour me rassurer, pour ne plus sentir cette inquiétude grandissante. Cette cécité envahissante. C’était un fait : mon champ visuel demeurait obstinément désert.
Le temps passant, il m’a fallu admettre cette incapacité de pouvoir saisir une image. Consentir que j’étais aveugle et par ailleurs me rendre compte que j’étais sans aucun sujet photographique – sauf celui-là même que je ne voyais plus. Il m’a fallu réagir, et j’ai décidé alors d’aller à la rencontre de cet épuisement visuel.
Pour me confronter à cette épreuve du regard, j’ai cherché un lieu qui pouvait me permettre d’opérer un basculement intérieur. Ce fût une chambre d’hôtel, parce que j’avais besoin d’un terrain neutre, sans rappels, sans liens, sans traces avec mon passé. Dans ce huis clos silencieux que je me suis imposée, je me suis interrogée sur cette perte du regard.
Il était peut-être venu le moment pour moi de laisser surgir quelque chose de nouveau. L’espoir d’une autre vision surement, de celle qui inaugure – qui annonce et qui promet. Face à cette remise en question, l’appréhension m’envahissait. Je ne savais pas ce qui pouvait advenir de cette mise à nu. Malgré tout cela, j’y suis allée. Je ne savais pas où cela me mènerait, mais je me répétait qu’il me resterait bien un détail, ou deux. Lumineux.